Saint-Saturnin
C'est la boîte à livres de la gare qui m'a offert un ouvrage de Jean Schlumberger. Le patronyme m'était familier (Guizot etc) mais l'auteur pas du tout ; pourtant il fonda la NRF avec André Gide en 1909.
Le titre du bouquin est Saint-Saturnin (Gallimard 1930) du nom d'un grand domaine provincial dans les mains d'industriels depuis des générations et qui va affronter la démence de son vieux propriétaire dans tous les compartiments de la folie douce, puis véhémente, sans jamais tomber non plus dans les obscurités de la sénilité.
Mais ce qui accroche dès le départ, c'est le style. Extrait du troisième livre, le Printemps :
« La sève ne monte pas encore. La forêt se méfie. Elle ne se laisse pas enjôler par quelques caresses du soleil. Les racines n'ont pas dormi tout leur soûl. Mais il peut arriver qu'au lieu de se dégourdir paresseusement, elles s'éveillent en panique et de leurs myriades de suçoirs, toutes à la fois, se mettent à pomper leur pâtée de terre et d'eau...»
Le héros s'est revêtu d'une blouse repeinte en camouflage pour mieux approcher les animaux de la forêt. Avec sa dame de compagnie, il gagne un éboulis propice à la rencontre, au fond de la propriété et se tient immobile... :
« Des bouquets d'ailes se pourchassent en tumulte, se dispersent, pour recommencer dans un arbre voisin. Si l'esprit du vieilard travaille, est-ce vers ces oiseaux qu'il jette son appel ? Espère-t-il que les chanteurs viendront se poser sur ce pauvre amas de tissu peinturluré, qu'ils en prendront les taches pour des feuilles et des branches ? %ais sous le voile qui le couvre, ses yeux ne peuvent regarder de leur côté. C'est vers la pierraille qu'ils restent tournés, c'est du sol même qu'ils semblent attendre on ne sait quoi. Et soudain Nicolas(ndlr : son fils) perçoit une sorte de petit sifflement que d'abord il n'a pas distingué parmi des pépiements et les cris des oiseaux : non pas un sifflement des lèvres, mais un son plus vague et timide, qui semble poussé entre la langue et les dents. Toujours aucun mouvement. Puis, tout doucement, le magicien remue un bras, l'allonge vers la grosse dame pour attirer son attention et lui désigne quelque chose dans l'éboulis. Le doigt reste levé mais se déplace un peu, comme pour suivre un objet qui bouge, puis en indiquer un autre, un troisième. Le chuintement léger ne s'arrête pas. Le doigt s'incline à peine, marquant qu'à terre le mouvement se rapproche : les lézards !...»
Le roman est très dense, c'est bien avant l'invention du terme, un thriller. La fratrie qui vient de perdre sa mère, voit revivre le patriarche qui entend rattraper le temps perdu en affaires et mettre au service d'une cause connue de lui-seul sa fortune. Le délire avance dans une forêt de caprices où interviennent d'inévitables malfaisants alléchés par l'odeur du fric et des innocents aussi ! Tous les personnages, même les plus insignifiants, sont campés certes mais avec une dose d'imprévisibilité qui maintient en haleine. A lire !
En 1935, Jean Schlumberger écrira la suite : Histoire de quatre potiers (Gallimard). Il reçut le Grand prix de littérature de l'Académie française en 1943. Il quitta ce monde en 1968.
Mais ce qui accroche dès le départ, c'est le style. Extrait du troisième livre, le Printemps :
« La sève ne monte pas encore. La forêt se méfie. Elle ne se laisse pas enjôler par quelques caresses du soleil. Les racines n'ont pas dormi tout leur soûl. Mais il peut arriver qu'au lieu de se dégourdir paresseusement, elles s'éveillent en panique et de leurs myriades de suçoirs, toutes à la fois, se mettent à pomper leur pâtée de terre et d'eau...»
Le héros s'est revêtu d'une blouse repeinte en camouflage pour mieux approcher les animaux de la forêt. Avec sa dame de compagnie, il gagne un éboulis propice à la rencontre, au fond de la propriété et se tient immobile... :
« Des bouquets d'ailes se pourchassent en tumulte, se dispersent, pour recommencer dans un arbre voisin. Si l'esprit du vieilard travaille, est-ce vers ces oiseaux qu'il jette son appel ? Espère-t-il que les chanteurs viendront se poser sur ce pauvre amas de tissu peinturluré, qu'ils en prendront les taches pour des feuilles et des branches ? %ais sous le voile qui le couvre, ses yeux ne peuvent regarder de leur côté. C'est vers la pierraille qu'ils restent tournés, c'est du sol même qu'ils semblent attendre on ne sait quoi. Et soudain Nicolas(ndlr : son fils) perçoit une sorte de petit sifflement que d'abord il n'a pas distingué parmi des pépiements et les cris des oiseaux : non pas un sifflement des lèvres, mais un son plus vague et timide, qui semble poussé entre la langue et les dents. Toujours aucun mouvement. Puis, tout doucement, le magicien remue un bras, l'allonge vers la grosse dame pour attirer son attention et lui désigne quelque chose dans l'éboulis. Le doigt reste levé mais se déplace un peu, comme pour suivre un objet qui bouge, puis en indiquer un autre, un troisième. Le chuintement léger ne s'arrête pas. Le doigt s'incline à peine, marquant qu'à terre le mouvement se rapproche : les lézards !...»
Le roman est très dense, c'est bien avant l'invention du terme, un thriller. La fratrie qui vient de perdre sa mère, voit revivre le patriarche qui entend rattraper le temps perdu en affaires et mettre au service d'une cause connue de lui-seul sa fortune. Le délire avance dans une forêt de caprices où interviennent d'inévitables malfaisants alléchés par l'odeur du fric et des innocents aussi ! Tous les personnages, même les plus insignifiants, sont campés certes mais avec une dose d'imprévisibilité qui maintient en haleine. A lire !
En 1935, Jean Schlumberger écrira la suite : Histoire de quatre potiers (Gallimard). Il reçut le Grand prix de littérature de l'Académie française en 1943. Il quitta ce monde en 1968.
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